transition-Guinée: Le peuple face aux grandes interrogations (Mamadou Dian Diallo)

Mamadou-Dian-Diallo

 Transition-Le coup d’Etat du 05 septembre 2021 marque-t-il un tournant décisif dans l’histoire de la République de Guinée ? Permettra-t-elle à notre pays de sortir de la crise politique qu’elle traverse depuis plus d’une décennie ? Le président de la transition et les autres organes répondront-ils de manière efficiente aux attentes du peuple? Ce sont autant des questions auxquelles les guinéens espèrent avoir des réponses pendant cette période transitoire.

Il est sans aucun doute que le coup d’Etat du 05 septembre restera gravé dans le marbre et marquera un tournant décisif dans l’histoire récente de notre pays. Le Colonel Mamadi Doumbouya, à la tête des forces spéciales du pays a posé un acte de bravoure, en écartant un régime dont la légitimité et la légalité étaient contestées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Pour autant, si les guinéens se réjouissent du renversement du président qui avaient remis en cause l’alternance démocratique dans le pays, il n’en reste pas moins que des certitudes planent sur les intentions des nouveaux maîtres de la Guinée. Même s’ils sont animés par des bonnes intentions, encore faudrait-il que ces intentions sont concrétisées par des actes. A cet égard, deux actes majeurs ont été posés par le nouveau régime de Conakry, celui notamment relatif à la rédaction et la publication de la charte de la transition d’une part (I), et la prestation de serment du président de la transition d’autre part (II). Deux actes, pour lesquels, il convient d’apporter une analyse, avec, bien entendu une approche pragmatique, compte tenu du caractère exceptionnel de la situation.

De la charte de la transition

La charte de la transition qui est entrée en vigueur depuis sa date de publication, constitue dans cette situation exceptionnelle, la règle la plus élevée de l’ordre juridique national en Guinée. Elle constitue à ce titre, le texte fondamental de la République de Guinée durant la période de la transition, conformément aux dispositions de l’article 84 de la charte. Elle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des organes de la transition, en déterminant leur compétence, leur organisation ainsi que de leur fonctionnement et de l’ensemble des institutions de la république de manière transitoire. Elle place le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens au cœur de la transition en vertu de ses articles 8 et suivants.

Toutefois, même si une charte à un caractère transitoire et peut comporter dans une moindre mesure des insuffisances, il convient néanmoins de souligner que la finalité poursuivie par une charte est de déterminer avec précision la durée de la période de transition. Or, la charte telle que rédigée ne comporte aucune disposition sur la durée de la transition. Alors que dans le préambule de celle-ci, il est indiqué clairement de la prise en compte des concertations incluses tenues à Conakry entre le Comité National de Redressement et de Développement (CNRD), organe regroupant l’ensemble des forces de défense et de sécurité du pays et l’ensemble des forces vives (partis politiques, sociétés civiles etc.) du pays mais également des propositions émanant de ces dernières. A se poser d’ailleurs la question de savoir si les mémorandums rédigés par les parties politiques et adressés au CNRD contenant des propositions sur la durée de la transition ont-ils été ignorés par celui-ci lors de la rédaction de la charte ? Sur cette question, la charte s’est contentée de faire un renvoi sur la fixation de la durée de la transition de commun accord entre les forces vives de la Nation et le Comité National du Rassemblement pour le Développement au sens de l’article 77 des dispositions transitoires. Qu’elle est la nécessité d’une telle approche ? Pourquoi vouloir d’une seconde concertation pour fixer la durée de la transition alors que des concertations se sont déjà tenues et de manière inclusive?

D’un point de vue juridique cela crée une certaine confusion, même s’il faut encore le rappeler, nous sommes dans une situation exceptionnelle. Mais être dans une situation exceptionnelle ne signifie pas pour autant que les règles juridiques doivent être édictées de manière trop lapidaire ou de façon assez incohérente. D’où la nécessité de s’interroger, si la durée de la transition commence-t-elle à compter de la date d’entrée en vigueur de la charte ou à partir de la date de la conclusion d’un accord bipartite ? Dans ce cas de figure, ne serait-il pas plus loisible de prévoir dans la charte que la conclusion de l’accord à venir sur la durée de la transition commencera à courir non pas à compter de sa date de publication mais à partir de celle de l’entrée en vigueur de la charte. De cette manière on aurait résolu de manière lisible la durée de la transition.

Même s’il est vrai que les dispositions prévoient la modification de la charte en cas de nécessité, nous pensons toutefois qu’ en pareilles circonstances, qu’il aurait été plus judicieux de prévoir dans la charte de manière claire et précise sur la durée de la transition en commun accord avec les forces vives du pays avant sa publication. Si cela nécessitait une démarche plus longue et complexe, il aurait été dans ce cas souhaitable de prévoir une disposition mentionnant la prise en compte de l’accord sur la durée de la transition à compter de la date d’entrée en vigueur de la charte. Cela permettrai à notre avis d’éviter toute velléité pour le régime transitoire à ce qu’on lui prête l’intention de se maintenir au pouvoir assez longtemps que prévu et d’être à la source d’autres crises politiques pour le pays. Alors que la charte reste muette sur la durée de la transition, elle prévoit néanmoins une prestation de serment du président de la transition.

De la prestation de serment

Le président du CNRD a prêté serment le vendredi 01 octobre devant les magistrats de la Cour Suprême en présence des forces vives du pays et des représentants de la communauté internationale, conformément aux dispositions de l’article 47 de la charte. Dans cette situation exceptionnelle, on peut légitimement se poser la question de la finalité recherchée par cette prestation de serment du président de la transition. La transition ne suppose-t-elle pas une rupture de la légalité constitutionnelle pendant une certaine période supposée raisonnable ? Le but recherché d’une transition n’est-il pas de permettre le retour à l’ordre constitutionnel par l’organisation des élections libres, transparentes, inclusives et crédibles suivant un délai raisonnable ?

Si la finalité recherché lors de cette prestation est celle d’une légitimité auprès de la communauté internationale, il nous semble que cette démarche n’avait pas lieu d’être, qu’elle est tout simplement inopérante, puisque la légitimé est déjà acquise auprès du peuple de Guinée et dans tous les cas de figure, les institutions internationales, régionales et sous-régionales (Nations Unies, UA, CEDEAO etc.) ne cautionneront jamais la prise du pouvoir par les armes. Même si ces deux dernières institutions sont décriées à cause de leur laxisme et de leur complaisance à l’égard des chefs d’Etat africains qui manipulent les Constitutions de leurs pays pour se maintenir au pouvoir, elles demeurent tout de même pour la communauté internationale, l’interlocuteur privilégié pour la résolution des crises politiques en Afrique.

Par ailleurs, lors de sa prestation de serment, le président n’a pas fait cas sur la durée de la transition, laissant planer encore le doute sur la durée de celle-ci. D’ailleurs, il aurait été très difficile pour lui de se prêter à un tel exercice, puisque cela n’est pas prévu dans la charte sur laquelle, il a prêté serment. Ce qui conduit à notre avis à une seconde incertitude sur un plan purement juridique de la durée de la transition. A se demander si la durée de la transition commencera à courir à compter de la date de la prestation de serment du président du CNRD ou à partir de la date postérieure à celle-ci, c’est-à-dire à celle de la conclusion de l’accord ? Il est évident que dès lors que la charte ne prévoit aucune disposition transitoire dans ce sens, la durée de la transition ne peut être subordonnée à la prestation de serment du président du CNRD.

En conclusion, nous pensons qu’il est possible de résoudre cette question sur la durée de la transition de deux manières. Une première approche, qui consiste de prévoir dans l’accord qui sera conclu sur la durée de la transition entre le CNRD et les forces vives, une disposition rétroactive de prise d’effet de la durée de la transition soit, à compter de la date d’entrée en vigueur de la charte ou à compter de celle de prestation de serment du président de la transition. Une deuxième approche, qui consiste pour le président de la transition à prioriser la convocation des forces vives du pays pour fixer de commun accord la durée de la transition avant même la mise en place des autres organes de la transition. Cela permettra à notre avis de lever toute équivoque qui plane sur la durée de la transition.

Mamadou Dian Diallo,

Juriste-Fiscale,

Observateur de la vie politique guinéenne

Paris le 03 Octobre 2021

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